Dans une tradition européenne où les œuvres les plus représentatives du passé antique sont utilisées pour illustrer la supériorité d’une puissance, en manifestant l’évidence d’une hiérarchie artistique et culturelle, l’arrivée des sculptures du Parthénon à Londres illustre un moment éclatant de l’impérialisme britannique au-delà de l’initiative individuelle de Lord Elgin. Leur exposition au British Museum, à peu près contemporaine de l’essor des romantismes, marque l’histoire du goût européen, en bouleversant les repères esthétiques les mieux établis. Mais la légitimité de ce transfert est âprement disputée et s’inscrit dans les batailles politiques et culturelles suscitées par l’émergence de la nation grecque. Au cours des deux siècles suivants, le cas des sculptures pèse, au-delà des relations spécifiques du Royaume-Uni à la Grèce, sur l’idée d’un patrimoine « universel », comme sur l’affirmation, aujourd’hui, de « communautés patrimoniales », telles que les conventions européennes veulent les dessiner.
Le cas des sculptures du Parthénon d’Athènes, enlevées et exposées à partir de 1817 au British Museum de Londres, est aujourd’hui l’un des exemples les plus emblématiques des spoliations subies par les patrimoines de certains pays européens au profit de leurs voisins. Il illustre plus largement les disputes à propos de la propriété des œuvres culturelles, de la mise au musée et des intérêts archéologiques, entre les valeurs d’exposition et celles du contexte in situ. En tant que tel, ce cas réunit depuis deux siècles tous les éléments d’une émotion patrimoniale majeure, et permet de comprendre la configuration et les enjeux de bien d’autres polémiques et antagonismes à propos de monuments ou de collections. L’arrivée des sculptures a bouleversé les publicistes européens, érudits et vulgarisateurs, en rendant visible une Antiquité réelle quasiment insoupçonnée, et en plaçant le « vrai grec » au centre du canon artistique occidental, au moins jusqu’aux dernières décennies du xixe siècle. L’impact et la durée de leur présence londonienne en ont fait des monuments de la tradition britannique, donnant au phénomène, au-delà d’une appropriation que ses adversaires dénoncent comme une criminalité historique, tous les traits d’une acculturation artistique et historique. L’État grec pose constamment, pourtant, la question d’une restitution destinée à combler les manques du monument in situ, et aujourd’hui à remplir d’originaux le nouveau musée de l’Acropole. Ses demandes sont soutenues et légitimées par des associations militantes, en Grèce et ailleurs, qui mobilisent savants et grand public et font pression sur leurs dirigeants politiques respectifs et les institutions muséales internationales.