Giuseppe Prezzolini, Italie -
En 1912, Mussolini bondit dans l’arène du Congrès socialiste de Bologne, comme un taureau irrité. Ce fut une apparition, presque inattendue. Les neuf dixièmes des socialistes, peut-être, ne le connaissaient pas. Son discours sur le rapport du Groupe parlementaire est resté célèbre. Le socialisme qui voulait aller à la cour, qui intriguait dans les ministères, qui faisait de la bureaucratie coopérative, qui émoussait ses griffes révolutionnaires aux contacts parlementaires, le mettait en fureur.
C’est là qu’on eut la première révélation de son éloquence sans démagogie, froide, faite de phrases sévères, à détente, grommelées ou débitées sèchement, syllabe par syllabe, avec des coups d'œil fulminants. Il ne fit qu’une bouchée du rapport et obtint la suppression de l’autonomie du Groupe parlementaire lui-même. Son idéal était la discipline militaire. Dès cette époque, il se montrait capable de vouloir et de diriger une dictature. Dès cette époque, il se montrait hostile au Parlement. « L’Italie est certainement la nation où le crétinisme parlementaire a atteint les formes les plus graves et les plus mortelles… C’est pour cela que j’ai une idée absolument négative du suffrage universel. » La conception socialiste de Mussolini n’a jamais été réformiste ou syndicaliste. Il n’a jamais cru aux conquêtes du bulletin de vote ni aux organisations ouvrières, mais à l’insurrection armée, aux coups violents portés par les minorités, en un mot, à l’action directe.(...)Quant à la masse fasciste, - et je ne comprends pas par cette expression les couches inférieures, elle reste entièrement imperméable à ces discussions. Éditeurs et libraires peuvent attester ensemble que les fascistes n’ont pas la fâcheuse habitude de lire et d’étudier. Leurs chefs, comme Finzi et Farinacci, ont souvent fait l’apologie de l’ignorance ; dans un écrit destiné aux Balilla – les jeunes fascistes – Finzi a dit que, sans étudier, il est pourtant arrivé à être ministre, et que, par suite, les jeunes gens ne doivent pas songer à perdre trop de temps sur les bouquins.7 novembre 1938 –
Alfred plonge son visage dans mes cheveux et je m’assoupis encore quelques minutes.
Au même instant, en France, un homme se lève. Il s’observe dans le miroir de sa chambre. Il y a longtemps qu’il ne se reconnaît plus. Il pourrait à peine dire son nom : Herschel Grynszpan. Juif polonais de 17 ans, contraint à l’exil, il vit à Paris. Toute sa famille est expulsée. Sans prévis, ils doivent quitter leur pays. Ils se retrouvent dans un camp de réfugiés. La vie de Grynszpan n’est qu’humiliation. Son existence est celle d’un rat, pense-t-il. Alors ce matin du 7 novembre 1938 il écrit « je dois protester pour que le monde entier entende mon cri. »
Armé d’un pistolet, il pénètre dans l’ambassade d’Allemagne à Paris. Il n’y a pas de doute quant à la détermination du jeune homme. Face à lui, l’ambassadeur Ernst vom Rath est livide. Pourtant celui qui veut tuer tremble. Ses mains sont moites mais il tire maintenant. Il abat l’Allemand à bout portant. Plusieurs coups successifs. Le sang coule sur le parquet. Le tueur ne cherche pas à s’enfuir. La nouvelle se répand aussitôt à Berlin. Le Führer entre dans une colère noire. La vengeance doit être immédiate. Comment a-t-il osé ? Vite, écraser cette vermine. Et puis non. Pas lui. Mais tous. C’est une race. Elle se répand. Ce sont tous les juifs qui ont tué vom Rath. A la rage se mêle la jouissance. Celle des représailles.
9-10 novembre 1938 – Le déchaînement est total. C’est ainsi que débute la Nuit de Cristal. On profane les cimetières. On réduit les biens à néant. Des milliers de magasins sont saccagés. Et les marchandises sont pillées. On force certains à chanter devant les synagogues en feu. Certains sont battus à mort. Les cadavres s’entassent comme des déchets. Des milliers d’hommes sont internés dans des camps. Des milliers dont papa. […]
On frappe à la porte. Je regarde mon père. Chaque bruit est une menace. Tout le monde reste autour de la table du déjeuner. Immobilisé par la peur. On frappe à nouveau. Les coups sont plus incisifs. Papa se lève finalement. Deux hommes en costume apparaissent.
« Albert Salomon ?
-Oui.
- Veuillez nous suivre.
-Où allons-nous ?
- Ne posez pas de questions.
- Puis-je prendre quelques affaires ?
- Ce ne sera pas utile, dépêchez-vous. »
Papa met son manteau et son chapeau. Il se retourne pour nous embrasser. Ses baisers sont fugitifs, volés. Sans la moindre explication, il est jeté à Sachsenhausen. Un camp de concentration au nord de Berlin.
6 Décembre 1938 – Toujours aucune nouvelle de papa. Est-il encore vivant ? On entend les pires rumeurs sur le sort des détenus. On parle de centaines de morts. Nous nous agitons pour le faire libérer mais on ne voit pas comment l’aider. Ces jours et ces semaines sont insupportables. Les arrestations ont visé toutes les élites. Les intellectuels, les artistes, les professeurs, les médecins. Bientôt, on s’attaquera également à ceux qui n’ont rien.
11 Décembre 1938 - Tout le monde cherche à fuir. Mais où ? Comment ? Les frontières sont fermées. Moi seule pourrai partir car je n’ai pas encore 22 ans. C’est possible, une sortie de territoire ne nécessite pas de passeport. Mes grands-parents sont au courant des derniers événements. Dans leurs lettres, ils me supplient de les rejoindre dans le sud de la France. Ils me disent que rester en Allemagne devient beaucoup trop risqué. Mais, je ne peux pas partir comme ça. Sans revoir papa.
Martin Schulse, résidant en Allemagne en 1934
« Cher Max,
Voici deux ans que j’ai quitté notre galerie d’art californienne, j’espère pour toi que les affaires se sont relancées. Ici en Allemagne, malgré la crise économique, un élan d’espoir sans précédent nous anime. Tu as certainement entendu parler de ce qui se passe, et je suppose que cela t’intéresse de savoir comment nous vivons les événements de l’intérieur. Franchement, Max, je crois qu’à nombre d’égards Hitler est bon pour l’Allemagne, mais je n’en suis pas sûr. Maintenant, c’est lui qui, de fait, est le chef du gouvernement.
L’homme électrise littéralement les foules ; il possède une force que seul peut avoir un grand orateur doublé d’un fanatique. Mais je m’interroge : est-il complètement sain d’esprit ? Ses escouades en chemises brunes sont issues de la populace. Elles pillent, et elles ont commencé à persécuter les Juifs. Mais il ne s’agit peut-être là que d’incidents mineurs : la petite écume trouble qui se forme en surface quand bout le chaudron d’un grand mouvement. Car je te le dis, mon ami, c’est à l’émergence d’une force vive que nous assistons dans ce pays. Une force vive. Les gens se sentent stimulés, on se rend compte en marchant dans les rues, en entrant dans le magasin. Ils se sont débarrassés de leur désespoir comme on enlève un vieux manteau. Ils n’ont plus honte, ils croient de nouveau à l’avenir. Peut-être va-t-on trouver un moyen pour mettre fin à la misère. Quelques chose - j’ignore quoi- va se produire. On a trouvé un Guide ! Pourtant, prudent, je me dis tout bas : où cela va-t-il nous mener ? Vaincre le désespoir nous engage souvent dans des directions insensées. »
Discours du 27 janvier à l’occasion de la journée européenne en la mémoire des génocides et de la déportation durant la Seconde Guerre mondiale.
Si je prends la parole aujourd’hui devant vous en ce 27 janvier, date anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz Birkenau c’est pour partager avec vous des souvenirs qui me sont chers et qui me /qui doivent nous rappeler les funestes moments de notre histoire et l’importance de rester encore et toujours mobilisés contre la montée de la xénophobie, de l’antisémitisme et de toute violence verbale ou physique à l’encontre de nos semblables.
Je m’appelle Hans et je suis allemand. En 1925, je vivais avec ma famille dans un immeuble et partageais mon quotidien avec mon voisin de palier. Ce garçon prénommé Frédéric était mon aîné de quelques semaines… Une amitié profonde, sincère quasi indéfectible nous liait, nous étions comme des frères, inséparables, complices de tous les instants. Mais, progressivement, j’ai senti que l’étau se resserrait sur lui et sa famille. J’ai pris l’ampleur du danger que les guettait ce jour où nous jouions à la balle dans la rue. Je le réentends me signaler qu’il devrait bientôt que je rentre car son père allait arriver et qu’ils avaient prévu de faire des achats ensemble. Il m’a d’ailleurs lancé « peut-être que j’aurai aussi une balle comme la tienne ! » J’approuvai en sautant à pieds joints au-dessus d’une plaque d’égout et, comme quelqu’un approchait, j’interrompis le jeu un instant. Dès que le passant se fut éloigné, je renvoyai la balle à Frédéric. Mon geste le surprit et il manqua la balle. Il y eut un bruit clair, un bruit de verre cassé, et la balle me revint, roulant innocemment sur la chaussée. Bouche bée, Frédéric contemplait les débris de la vitrine, je me penchai pour ramasser la balle sans bien réaliser encore ce qui s’était passé. Mais une femme avait surgi devant nous, elle s’en prit à Frédéric et se mit à vociférer en le secouant par le bras. A ses cris, les portes et les fenêtres s’ouvrirent tout autour de nous et très vite les curieux se rassemblèrent.
« Petits brigands ! Vauriens ! »
Devant la porte de la boutique, un homme fumait sa pipe avec indifférence, les mains dans les poches ; c’était le mari de la commerçante que venait de proférer ces injures et elle poursuivit.
« Ce lourdaud de Juif, disait la femme à qui voulait l’entendre, casse ma vitrine pour voler mes marchandises ! Puis, se tournant vers Frédéric : Mais tu as manqué ton coup cette fois encore ; je t’ai à l'œil. Je te connais bien, tu ne m'échapperas pas. Vous autres, canailles de Juifs, on devrait tous vous exterminer. Ça vous met par terre une affaire avec leurs grands magasins, et ça vient, en plus, vous voler. Attendez un peu, Hitler va vous faire voir ! »