Les crises de la IIIe République
J'accuse, Emile Zola, le 13 janvier 1898
Indigné par l’acquittement triomphal du commandant Esterhazy, suspecté d’avoir trahi à la place de Dreyfus, l’écrivain Émile Zola écrit une lettre ouverte au président de la République. Elle paraît en Une des 200 000 exemplaires de L’Aurore, le journal du républicain Georges Clemenceau.

« J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam(1) d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire […], d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste depuis trois ans, par les machinations les plus coupables.
J’accuse le général Mercier (2) de s’être rendu complice [...] d’une des plus grandes iniquités du siècle.
J’accuse le général Billot(3) d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées […] pour sauver l’état-major compromis.
J’accuse le général de Boisdeffre (4) de s’être rendu complice du même crime […] sans doute par passion cléricale […].
J’accuse les bureaux de la guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans L’Éclair et dans L’Écho de Paris une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute.
J’accuse enfin le premier conseil de guerre d’avoir violé le droit en condamnant un accusé sur une pièce restée secrète, et […] le second conseil de guerre d’avoir cou-vert cette illégalité, par ordre [et d’avoir permis] d’acquitter sciemment un coupable. En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles de la loi sur la presse qui punit les délits de diffamation […]. L’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice.
Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité […]. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour!»

Émile Zola, «J’accuse», L’Aurore, 13 janvier 1898.

1. Chargé de l’enquête et accusateur de Dreyfus.
2. Ministre de la Guerre en 1894, déclarant Dreyfus coupable avant même son procès.
3. Ministre de la Guerre en 1896, alerté de la probable culpabilité d’Esterhazy.
4. Chef de l’état-major en 1894.
 
Agitation antisémite et nationaliste dans le Doubs d’après un instituteur (printemps 1899)

«Quant à l’Affaire, j’ai été témoin de ses remous à Besançon, sans trop savoir de quoi il était question, lorsque les étudiants manifestaient le soir dans la rue, cassant avec leurs cannes et leurs gourdins les volets des magasins juifs en criant: "Conspuez Zola! Conspuez Zola !". Un cordon d’agents protégeait la synagogue […]. Au lendemain des manifestations estudiantines, dans la cour de notre école, certains parmi les grands élèves se saisissaient des petits Bloch ou Levy, les cognaient, les bousculaient au fond du préau, loin des maîtres qui se promenaient en évoquant probablement le cas Dreyfus [...]. Je n’ai pas oublié non plus un meeting au Kursaal bisontin (1) par les tenants de la Ligue des patriotes, lors de la révision du procès.Les hurlements,claquements de siège accueillent les orateurs (dont le député Lasies(2)), qui avaient placé sur le bureau un buste de Déroulède(3). Chahut monstre, expulsion par la police.»

Cité dans Jacques et Mona Ozouf, La République des instituteurs, «Hautes Études», © Seuil/Gallimard, 1992, «Points Histoire», 2001.

1. Salle de spectacle et de réunion à Besançon.
2. Député antidreyfusard siégeant au «groupe antijuif» de la Chambre.
3. Paul Déroulède (1846-1914), poète nationaliste, antisémite et chef de la Ligue des patriotes, vient d’être arrêté pour avoir tenté de faire marcher un général sur l’Élysée
La montée de l'antisémitisme
a. « À propos de Judas Dreyfus», caricature de C. Chanteclair (pseudonyme de Lucien Emery), La Libre Parole illustrée, n°70, 10novembre 1894.

Ce journal est dirigé par l’antisémite Drumont, auteur de La France juive en 1888.

b. Allégorie de Forain paru à la Une de Psst…!, 23 juillet 1898.
Le dessinateur Caran d’Ache a créé en 1898 l’hebdomadaire Psst! pour la lutte antidreyfusarde.
 
Alfred Dreyfus (1859-1935
Domaine public (photographie colorisée), v. 1894
 
 
Caricature de Caran d'Ache (Emmanuel Poiré, 1858-1909), parue dans les colonnes du Figaro, le 14 février 1898.
Le dessin décrit la division de la société au cours de l'Affaire Dreyfus. «— Surtout! ne parlons pas de l'affaire Dreyfus!» «… ils en ont parlé…»