Mers et oceans
Doc 6bis. La militarisation de l'Arctique est-elle inéluctable ?
23 mai 2021

DÉCRYPTAGE - La Russie, les États-Unis et d’autres pays avancent leurs pions, alors que la fonte des glaces donne accès à de nouvelles ressources énergétiques. Littéralement, la première rencontre entre le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, et son homologue russe, Sergueï Lavrov, s’est déroulée dans une ambiance polaire. Les deux diplomates se sont entretenus mercredi soir en marge de la réunion du Conseil de l’Arctique à Reykjavik, en Islande. Ce forum multilatéral réunit les huit pays riverains de l’Arctique (Islande, Danemark, Norvège, Finlande, Suède, Canada, États-Unis et Russie), des représentants des peuples autochtones et des pays observateurs dont plusieurs États européens, notamment la France, et même la Chine, qui se définit depuis 2013 comme «un pays proche de l’Arctique». Florian Vidal, chercheur à l'ifri et spécialiste de l'Arctique, estime : "Pour des raisons économiques, la Russie ou la Norvège n’ont pas intérêt à faire de cette région une zone de tension. Pendant la guerre froide, les tensions y étaient plus fortes entre les États-Unis et l’URSS." Le climat s’est cependant dégradé. Depuis l’invasion de la Crimée en 2014, Moscou ne participe plus aux réunions de l’ASFR, un organisme de dialogue sur la sécurité (le sujet n’est pas dans les attributions du Conseil de l’Arctique). Ces dernières années la Russie n'a cessé d'accroître son dispositif militaire dans l'Arctique, rouvrant ou modernisant des bases et des aérodromes abandonnés depuis l'époque soviétiques et déployant ses systèmes de défense anti-aérienne S-400. L'autre pilier du développement économique de l'Arctique, l'extraction des matières premières (pétrole, gaz, charbon - à rebours d'une trajectoire "décarbonée"...) peut aussi être fragilisé par un "ennemie invisible", le dégel du pergélisol - 60% de ces territoires septentrionaux.
Doc 6. La Russie déploie 10 navires de guerre dans la mer Arctique
Les navires de surface et les sous-marins de la flotte du Nord de la marine russe ont entamé des manœuvres aujourd'hui dans la mer de Barents, dans l'océan Arctique, à un moment où la tension internationale est élevée en raison de la campagne militaire de la Russie en Ukraine. "La flotte du Nord a commencé les manœuvres planifiées avec un regroupement de forces d'assaut mixtes pour résoudre les situations de crise dans l'Arctique", a déclaré le service de presse de la marine cité par l'agence de presse Interfax. Selon la flotte du Nord, les exercices "impliquent plus de 10 navires de surface et sous-marins, ainsi que des forces aériennes et anti-aériennes". "Les exercices dureront jusqu'au week-end", a ajouté le commandement russe. Le croiseur lance-missiles à propulsion nucléaire "Pyotr Veliki", navire amiral de la flotte du Nord, participera aux exercices. "Dans le cadre des exercices, des missions défensives complètes seront pratiquées, ainsi que le confinement d'un ennemi virtuel dans la mer de Barents, et le repoussement d'attaques sur les îles et les zones côtières russes dans l'Arctique", a-t-il ajouté. Les exercices comprennent des exercices de tir avec l'artillerie navale et les systèmes de missiles contre des cibles de surface, sous-marines et aériennes dans la mer de Barents. "Les zones d'exercice naval seront fermées à la navigation et aux vols civils", a déclaré la flotte du Nord.

17 août 2022. Atalayar EFE
 
Doc 1. Un espace maritime riche et disputé
 
Doc 5. Le développement du tourisme
L’Arctique est désormais une région touristique attractive, et la navigation de croisière est notamment en expansion dans la région, avec toutefois là encore un profil différencié selon les régions – ce qui nous permet de rappeler que l’Arctique n’est pas un espace uniforme. En matière de tourisme de croisière sur l’océan Arctique, le Groenland et le Svalbard dominent largement le marché : c’est en lien, d’abord, avec une plus grande accessibilité : le sud du Svalbard et du Groenland où se concentre la navigation de croisière sont libres de glace pour la majeure partie de l’année. Les navires demeurent de taille relativement modeste, notamment dans l’Arctique canadien, à l’exception du Crystal Serenity, un navire de croisière pouvant accueillir plus de 1 600 passagers et qui a transité dans la région en 2016. Comparé aux autres destinations, les chiffres soulignent que c’est le Groenland qui attire les plus gros navires .
 
Doc 2bis. Exploitation des ressources
Manifestation contre l’exploration pétrolière norvégienne en Arctique (2017).
 
Document 3. Les routes maritimes arctiques
l faut d’abord distinguer le passage du Nord-Ouest (PNO) qui traverse l’archipel arctique canadien, du passage du Nord-Est (PNE) qui lui, passe au nord de la Norvège puis longe la côte russe. La route transarctique demeure pour l’instant hypothétique, de la glace est encore présente à l’année dans l’océan Arctique central et constitue donc une contrainte majeure pour la navigation. Le pont arctique demeure lui aussi à l’état de projet.
La carte indique également que les passages semblent libres de glace à l’été, mais pas en hiver : c’est là une importante contrainte saisonnière. La présence de glaces dérivantes pose aussi la question de l’ouverture réelle de ces passages en été. Enfin, on peut noter une différence marquée dans les conditions de glace entre le PNO et le PNE dont de grandes portions sont libres de glace toute l’année. Cela s’explique notamment par les courants marins, puisque le long de la Norvège remonte la dérive nord Atlantique du Gulf stream, un courant chaud, alors que côté canadien passe le courant du Labrador, un courant froid – d’où des différences climatiques si importantes à une même latitude. Précisons, enfin, que ces routes peuvent être utilisées pour une navigation de transit, donc de part en part, mais qu’il existe aussi un trafic de destination, qui n’emprunte donc qu’une portion de ces routes et la tendance semble montrer qu’il est majoritaire et appelé à le rester
 
Doc 4. Différents modèles de développement en opposition

«Le modèle utilitariste est porté […] par la Russie et le Groenland […]. Pour la Russie, dans la continuité d’une tradition de contrôle et d’exploitation des ressources arctiques qui ne peut être entravée par des injonctions extérieures, [ce modèle constitue] un enjeu de souveraineté et une nécessité économique liée à l’économie de rente(1) énergétique [du pays].
Le modèle prudentiel(2) est canadien, québécois, norvégien, suédois, finlandais et, sous l’administration Obama, états-unien. En recherche d’équilibre entre exploitation des ressources, conservation des écosystèmes et développement durable, […] il est réceptif aux réglementations […] internationales contraignantes comme le “Code polaire”.
Le modèle conservatoire est porté […] par l’Union européenne […]. Elle propose une stratégie globale pour l’Arctique reposant sur la sécurité, la paix, la coopération scientifique, la prévention des risques et la production de normes drastiques en matière d’exploitation des ressources. […] La lutte contre le réchauffement climatique oblige à reconsidérer l’exploitation des ressources fossiles, notamment arctiques.»

D’après Éric Canobbio, «Arctique-Antarctique, géopolitique d’un miroir brisé», Reliefs, n°3-Pôles, 2016.

1. Économie de rente : économie faiblement diversi ée reposant sur l’exploitation des ressources naturelles.
2. Observé par prudence, par précaution.
Doc 2. Réchauffement climatique et accès aux ressources

Le réchauffement de la planète pourrait libérer des glaces les routes du Nord-Ouest et du Nord-Est. Mais les coûts d’un tel trafic diminuent considérablement leur intérêt économique. Toutefois, ces voies donneraient accès aux ressources en hydrocarbures de l’Arctique. Dans ce contexte, des litiges apparaissent entre États riverains. La Norvège et la Russie se sont opposées car elles convoitaient la mer de Barents (conflit résolu en 2010).
Des revendications territoriales ont créé de fortes tensions entre le Danemark, via le Groenland, et le Canada. Le litige toujours en suspens porte sur l’île Hans, dont les eaux pourraient être rendues navigables à terme, ouvrant une nouvelle voie et donnant accès à de potentielles ressources pétrolières. Le différend entre les États-Unis et le Canada concerne le passage du Nord-Ouest, que les Américains considèrent comme un détroit international, mais sur lequel les Canadiens voudraient exercer un contrôle exclusif, puisqu’il fait selon eux partie de leurs eaux intérieures.»

D’après A. Cattaruzza, Atlas des guerres et des con its. Un tour du monde géopolitique, © Autrement, 2017.