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Faut-il faire moins d’enfants pour sauver l’humanité ? - Le Drenche
Faire moins d’enfants pour sauver la planète est pour certains le geste écologique ultime. On en débat aujourd'hui avec deux experts !
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Moins d’enfants, plus d’avenir

Moins d’enfants ? Si vous demandez à quelqu’un : « Est-ce que vous ne croyez pas qu’on est assez nombreux comme ça sur terre ? », il y a des chances qu’on vous regarde de travers. Les plus simplets vous rétorqueront qu’« avoir des enfants, c’est bien ». Les plus éclairés expliqueront que le sujet est complexe : la « surpopulation » ne dépend pas seulement de la taille de la population, mais du rapport entre la population et les ressources disponibles et de la manière dont les ressources sont utilisées et partagées (ou réparties). Or nos ressources s’épuisent et elles sont inégalement réparties.
On s’est aperçu -il était temps- qu’avoir un enfant dans un monde capitaliste implique de consommer. Chaque enfant coûte à sa famille des centaines de milliers d’euros depuis sa naissance jusqu’au moment où il gagne sa vie. Logement, déplacements, jouets, services divers, éducation : les parents veulent à tout prix être de « bons parents » et donner « le meilleur » à leurs enfants, ce qui signifie le meilleur de la société de consommation. Tout cela pour des résultats discutables puisque ces enfants sur-gâtés, surprotégés, deviennent de plus en plus souvent de jeunes mollassons scotchés sur leurs écrans, incapables de quitter le giron familial (les jeunes qui n’étudient pas, ne travaillent pas et ne se forment pas sont plus de 14 millions en Europe). (1) Davantage de consommateurs constitue une aubaine pour le capitalisme. La propagande pro-enfant se traduit par des publicités mettant en scène l’enfant qui rend heureux : « rien n’est plus beau qu’un sourire d’enfant ». En réalité, les mères sont fatiguées et la « charge mentale » qu’elles assument pèse sur leur bien-être et rogne sur leur liberté. Car les femmes prennent en charge encore et toujours les deux-tiers du travail domestique, donc les deux-tiers des tâches éducatives. L’enfant qui épanouit les femmes ? C’est du babywashing. Aussi, elles sont de plus en plus nombreuses à se revendiquer childfree. De plus en plus en nombreuses à se demander s’il est bien raisonnable d’avoir davantage qu’un ou deux enfants maximum. Pas étonnant que le nombre d’enfants par femmes soit en baisse partout en Occident. Voilà une bonne nouvelle. Moins, c’est bien. Moins de consommation, moins de gaspillage, moins de viande, moins de gadgets, moins de déplacements, moins d’écrans, moins de fast-fashion – et bien sûr moins d’enfants. Avoir un enfant de moins revient à diminuer ses émissions de CO2 de 58,6 tonnes par an d’après une étude récente de l’université suédoise de Lund. « Cela équivaut à 684 adolescents qui décident de recycler systématiquement leurs déchets pendant le restant de leur vie », affirment les chercheurs. Avoir moins d’enfant signifie aussi plus de liberté pour les femmes, plus de temps, plus de repos, plus de liberté, et plus d’opportunités professionnelles. Le moins nous sauvera. Encore faut-il encourager les adeptes du moins. Prenons au sérieux l’écologiste Yves Cochet : il propose une « allocation familiale inversée » qui diminuerait à chaque enfant supplémentaire. C’est logique puisque moins sert l’intérêt général. Moins nous donnera plus de nature, plus de beauté, plus d’air pur, plus de calme, plus de place. La formule « Less is more » n’a jamais été plus actuelle. Et plus révolutionnaire.

Corinne Maier Ecrivain, auteure entre autres des livres "No Kid" (poche, 2009) et "Dehors les enfants!" (Albin Michel, 2021)

(1) 14 millions : chiffres 20‌12, article Jean-Laurent Cassely, Slate, 22 oct 2012, http://www.slate.fr/lien/63689/jeunes-europeens-neets‌ / Actuellement, les NEET représentent 14,2 % de la population âgée de 15 à 29 ans. http://www.eurofound.europa.eu/fr/topic/neets
La vraie question n’est pas le nombre des humains mais leur mode de vie


Nus sommes près de 8 milliards d’humains en 2021 et devrions être près de 10 milliards en 2050. Ne sommes-nous pas trop nombreux ? Pourquoi la croissance devrait-elle se poursuivre ? La décroissance tout de suite ne serait-elle pas préférable ? Avoir moins d’enfants dans nos pays, voire pas du tout, ne serait-il pas la solution ? Les chiffres pour 2050 sont des projections et l’avenir n’est évidemment pas écrit. Il reste que les projections démographiques sont relativement sûres lorsqu’il s’agit d’annoncer l’effectif de la population à court terme, c’est-à-dire pour un démographe, les dix, vingt ou trente prochaines années. La majorité des hommes et des femmes qui vivront en 2050 sont déjà nés, on connaît leur nombre et on peut estimer sans trop d’erreurs la part des humains d’aujourd’hui qui ne seront plus en vie. Concernant les nouveaux nés qui viendront s’ajouter, leur nombre peut également être estimé car les femmes qui mettront au monde des enfants dans les vingt prochaines années sont déjà nées, on connaît leur effectif et on peut faire également une hypothèse sur leur nombre d’enfants, là aussi sans trop d’erreurs. Si la croissance démographique mondiale se poursuit, c’est en décélérant, ceci depuis soixante ans. Elle avait alors atteint un taux maximum de plus de 2% par an. Elle a diminué de moitié depuis (1% actuellement) et devrait continuer de baisser dans les prochaines décennies en raison de la diminution de la fécondité : 2,4 enfants en moyenne par femme aujourd’hui dans le monde, contre plus du double (5 enfants) en 1950. La croissance zéro ou la diminution de la population dès maintenant n’est pas une option. Dans une grande partie du monde, les femmes et les hommes ont fait le choix d’avoir peu d’enfants tout en leur assurant une vie longue et de qualité. La fécondité y est souvent inférieure au seuil de remplacement (2,1 enfant). Mais il n’en résulte pas tout de suite une diminution de population en raison de l’inertie démographique : même si la fécondité mondiale n’était que de 1,6 enfant par femme, comme en Europe ou en Chine, la population continuerait d’augmenter pendant encore quelques décennies. Elle comprend en effet beaucoup d’adultes en âge d’avoir des enfants, nés lorsque la fécondité était encore forte, ce qui entraîne un nombre élevé de naissances. Les personnes âgées ou très âgées sont en revanche peu nombreuses à l’échelle mondiale et le nombre de décès est faible. Il est illusoire de penser pouvoir arrêter la croissance tout de suite et nous n’échapperons pas à un surcroît d’environ deux milliards d’habitants d’ici 2050. En revanche, il est possible d’agir sur les modes de vie, et ceci sans attendre, pour les rendre plus économes en ressources et en énergie et plus respectueux de l’environnement et de la biodiversité. Aux jeunes qui se demandent s’ils vont avoir ou non des enfants, je dis : les enfants, ça coûte, c’est fatiguant, c’est des contraintes. Si vous ne souhaitez pas en avoir, n’en ayez pas. Si vous souhaitez malgré tout en avoir, ayez-en, et le nombre que vous souhaitez. Mais éduquez-les en sorte qu’ils soient respectueux de l’environnement et aient un mode de vie durable. Adoptez vous-mêmes les bons comportements sans attendre. La vraie question, celle dont dépend la survie de l’espèce humaine à terme, est finalement moins celle du nombre que celle des modes de vie

Gilles Pison Professeur émérite au Muséum national d’histoire naturelle, chercheur associé à l’Institut national d’études démographiques, auteur de l’Atlas de la population mondiale (Editions Autrement, 2019)