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Faut-il arrêter de vendre des armes ? - Le Drenche
L’exportation d'armes françaises pose des questions éthiques, économique et juridiques. Faut-il continuer à exporter des armes ? On en débat
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Les ventes d’armes, un arbitrage délicat à opérer entre considérations économiques et géopolitiques


Aussi controversées soient-elles, les ventes d’équipement militaire français (ou exportations) sont stratégiques, et donc indispensables, pour des raisons d’ordre économique et géopolitique.

D’un point de vue industriel, la commande publique étant insuffisante pour maintenir en activité l’ensemble du tissu industriel de défense français (plus connu sous le nom de BITD – Base industrielle et technologique de défense), les exportations d’équipement permettent de garantir un niveau d’activité minimal aux industriels, qui suffise à préserver des compétences et des savoir-faire rares, dans des domaines d’activité aux applications duales (à la fois civil et militaire). Exporter permet également aux industriels de réaliser des économies d’échelle – en réduisant le coût unitaire des équipements – et donc d’être plus compétitif, ce qui bénéficie in fine à l’acheteur public français. De plus, les bénéfices réalisés grâce aux exportations permettent d’innover en consentant davantage d’investissements en recherche et développement (R&D).

Pour autant, à lui seul, le simple argument économique ne suffit pas à justifier une telle politique. Si l’Etat soutient les exportations d’équipement militaire, c’est avant tout parce qu’elles concourent à l’autonomie stratégique de la France. En effet, préserver des compétences industrielles nationales dans un domaine aussi stratégique que celui de la défense, vise avant tout à garantir notre indépendance et notre souveraineté vis-à-vis de pays tiers, et donc à préserver notre capacité d’action autonome. Sans exportations il ne peut y avoir d’industrie de défense, et sans industrie de défense il ne peut y avoir de souveraineté. Les récentes ruptures d’approvisionnement engendrées par la pandémie du Covid-19 et le repli sur soi opéré par un certain nombre d’Etat, ont rappelé l’importance de maintenir des capacités de production nationale dans les domaines les plus stratégiques.

Sans exportations il ne peut y avoir d’industrie de défense, et sans industrie de défense il ne peut y avoir de souveraineté

Qu’adviendrait-il dans l’hypothèse où la France « arrêtait de vendre des armes » ?

Progressivement, nous serions obligés d’abandonner la production de certains équipements stratégiques et, à moins de renoncer à un modèle d’armée complet capable de se projeter sur des théâtres d’opérations extérieurs, nous serions alors contraints d’acquérir des systèmes étrangers. Cela ne ferait que renforcer notre dépendance et reviendrait de facto à soutenir les ventes d’armes d’autres Etats. Qui plus est, une telle dépendance paraît difficilement compatible avec le modèle de dissuasion nucléaire française.

Enfin, la vente d’équipement militaire répond également à une logique diplomatique. En s’inscrivant bien souvent dans le cadre d’un partenariat stratégique plus large, elle permet de renforcer la capacité de pays partenaires à assurer leur propre défense et contribue à préserver une certaine stabilité dans des régions stratégiques. Au niveau de l’UE, première destination des exportations d’armement français (25% en 2020), elles favorisent avant tout l’interopérabilité entre armées alliées et contribuent au développement d’une culture stratégique commune.

Evidemment, les ventes d’équipement militaire et notamment celles vers des pays tiers (hors UE et OTAN), posent la question du risque d’atteintes aux droits humains, qui, bien qu’impossible à écarter entièrement, demeure limité compte tenu de la procédure de contrôle interministériel en vigueur (1). Ainsi, la solution n’est pas tant « d’arrêter de vendre des armes », mais plutôt de poursuivre l’effort de transparence et de contrôle des exportations initié ces dernières années, afin de garantir le strict respect des engagements internationaux (2) auxquels la France adhère.

(1) : Chaque exportation d’équipement militaire français est soumise au contrôle de la Commission interministérielle pour l’exportation des matériels de guerre (CIEEMG)

(2) : Notamment la Position commune de l’UE et le Traité sur le commerce des armes


Gaspard Schnitzler
Enseignant-chercheur sur les questions de défense et d'armement à l'IRIS

Vendre des armes, c’est exporter l’insécurité chez les autres…


Pour répondre à cette question, il faut la remplacer dans un contexte plus large : les ventes d’armes contribuent-elles à notre sécurité ?

Pour justifier le développement du commerce des armes, les États se réfèrent à l’article 51 de la charte des Nations Unies qui reconnaît à chacun de ses membres le « droit naturel de légitime défense » en cas d’« agression armée ». En fait, vendre des armes, pour un État est surtout le moyen de renforcer la compétitivité de son industrie d’armement et d’asseoir sa puissance sur la scène internationale. En bref, cela revient à vouloir assurer sa sécurité en favorisant l’insécurité chez les autres…

De ce point de vue, il y a beaucoup à dire sur l’attitude de la France, qui se veut promotrice du droit international et garante de la sécurité collective mais qui continue à fournir des armes à des pays en guerre ou violant les droits de l’homme (par exemple Arabie saoudite, Afrique du sud, Egypte, Israël…). La question se pose donc de notre attitude face aux conflits : ne contribue-t-on pas à les entretenir dans le but de pousser nos intérêts ? La position de la France dans le cadre des guerres au Yémen et Mozambique, deux pays dans lesquels Paris entretient des intérêts gaziers nous pousse à répondre par l’affirmative.

Dans le cadre de l’annulation sur le contrat des sous-marins australiens, il est symptomatique qu’on ne s’interroge pas sur les raisons de la stratégie militaire indo-pacifique française en dehors de la compétition avec la Chine : la course à l’exploitation du gaz offshore et le contrôle du trafic maritime. Cette stratégie n’est pas mise en débat alors que les populations yéménites et mozambicaines en paient le prix et que les peuples insulaires des DOM-TOM ou de la zone économique exclusive que la France occupe voient leurs droits déniés (comme la réparation des dommages commis par les essais nucléaires français dans le Pacifique).

Si on veut garantir la paix et la sécurité, ne devons-nous pas plutôt revoir la place du militaire ? Financer davantage la prévention ou la résolution des conflits ?

D’autre part, on accuse les Etats-Unis, la Grande Bretagne et l’Australie de favoriser la prolifération nucléaire. Or ne l’avons-nous mêmes pas favorisé en ayant vendu des avions de chasse Rafale à l’Inde vecteurs de ce type d’armement ? Dans le passé, les armes françaises ont irrigué de nombreux conflits (Angola, Iran-Irak…) et des répressions (Afrique du Sud) sans que l’on en tire les conséquences.

On invoque généralement que les ventes d’armes nous rapportent. En fait, les exportations d’armes ne représentant qu’1 % du total des exportations françaises. C’est très peu. C’est donc pour des raisons principalement politiques que l’on exporte de l’armement. Les emplois dans le secteur de l’armement représentent des postes hautement qualifiés et peuvent être reconvertis dans d’autres secteurs. Bref, nous percevons bien là les impasses où nous conduisent les ventes d’armes.

Si on veut garantir la paix et la sécurité, ne devons-nous pas plutôt revoir la place du militaire ? Financer davantage la prévention ou la résolution des conflits ? Et nous interroger sur les causes de cette militarisation à l’heure où la question du climat est en débat : la course à l’énergie et aux ressources, motrice de notre mode de vie, qui conduit à des effets délétères tant sur le plan humain qu’écologique. Il est urgent que les jeunes générations se saisissent davantage de la question militaire qui a des répercussions énormes.


Tony Fortin
Chargé d’études à l’Observatoire des armements