La cohésion sociale en débats
Économie : pour ou contre un salaire étudiant ? - Le Drenche
Le Drenche te propose un débat sur le salaire étudiant. Selon un rapport de l’IGAS (2015), près de 20 % des étudiants vivent en dessous du seuil de pauvreté
Original link
Contre: Non au salaire étudiant

Pourquoi étudions-nous ? Pourquoi passer toutes ces années à acquérir tant de connaissances et de compétences ? Trouver un travail, gagner plus d’argent, échapper à sa condition sociale, subvenir aux besoins de sa famille, assouvir une passion, poursuivre un idéal… Les raisons sont multiples et appartiennent à chacun. Ce projet personnel ambitionne toujours un retour sur investissement : exercer un métier rémunérateur, et, si possible, épanouissant. L’investissement devient profitable une fois que l’on entre sur le marché de l’emploi. Tout le monde y gagne : le jeune travailleur, l’employeur et le consommateur. Ce jeu à somme positive crée de la valeur et donc une rémunération en récompense des sacrifices consentis. En attendant, le fait d’obtenir un diplôme n’apporte rien, en soi, à quiconque, sauf à celui qui va le recevoir. Revendiquer un salaire étudiant pour cet investissement, c’est exiger du contribuable de financer tous les projets de carrière, indépendamment de leur valeur escomptée ou de leur issue. C’est risquer d’offrir un cadeau empoisonné à l’étudiant qui se lance dans une voie sans lendemain, car il n’en assume pas le coût. À titre d’exemple, la moitié des étudiants en sociologie n’ont pas d’emploi stable après leur master. Un salaire étudiant, c’est un investissement forcé et sans retour, sans contrepartie, comme si l’on obligeait le contribuable à financer le projet d’un entrepreneur sans toucher de profits si l’entreprise réussit. Certes, cet investissement exige des ressources. Tous les étudiants n’ont pas la chance d’avoir des parents suffisament fortunés pour faire un virement mensuel payant loyers et frais d’inscription. Des alternatives sont possibles pour financer les études telles que travailler en parallèle ou faire un emprunt remboursé avec les premiers salaires. Pour les plus précaires, des bourses peuvent compléter les ressources manquantes. Mais d’autres solutions existent. Avec l’apprentissage, les contrats de professionnalisation ou l’alternance, l’entreprise finance vos études et vous verse un salaire en espérant que vous commencerez votre carrière avec eux. Le projet devient dès lors commun entre l’étudiant et l’employeur. Ce modèle vertueux est encore trop dénigré et peu développé en France alors qu’il est une voie prestigieuse et fort rémunératrice dans de nombreux pays : selon l’OCDE, 33 % des étudiants allemands ou autrichiens sont en apprentissage contre 6 % en France. C’est aussi une garantie anti-chômage, l’investissement étant envisagé au regard des intérêts de l’entreprise. En France, le taux de chômage des élèves issus d’un CAP est deux fois inférieur à celui des jeunes diplômés sortant des filières générales. Développons l’apprentissage plutôt que le salaire étudiant !
Pour: Un salaire étudiant pour mieux étudier et mieux travailler


La revendication du salaire étudiant a été remise en lumière lors du drame du 8 novembre. Cet événement intervient à un moment où le gouvernement prépare une politique inégalitaire et dangereuse : une augmentation générale des frais d’inscription et une introduction de prêts étudiants fondées sur l’idée que les personnes en formation sont des investisseurs cherchant les études les plus « rentables ». Dans ce contexte, dans Slate, Le Monde ou sur le Mouv’, le « salaire étudiant » a été défendu en prenant l’exemple du Danemark, où selon Eurydice on accorde 809€ chaque mois aux personnes en formation à temps plein qui ont quitté le domicile parental.

En réalité, le salaire étudiant n’a pas grand-chose à voir avec l’allocation danoise que l’on peut assimiler à « l’allocation d’autonomie » de l’UNEF actuelle. Il regroupe des projets et des stratégies façonnés par les organisations étudiantes à travers le monde par exemple par l’UNEF en 1945 ou au Québec en 2019 par les CUTE. Le salaire étudiant vise à garantir la gratuité totale des études et le versement à chaque étudiant et chaque étudiante d’une rémunération égale à un barème de salaire au moins égal au barème minimal du SMIC (1200€ net par mois).

L’enjeu du salaire étudiant est double. Premièrement, il vise à supprimer les prêts et l’emploi étudiants, phénomènes assez développés au Danemark selon le Centre d’analyse stratégique et Eurydice. Le second enjeu du salaire étudiant est culturel. L’objectif est de diffuser une autre image de la personne en formation. Ici, l’étudiante et l’étudiant ne sont ni des investisseurs, ni des personnes à assister ou à aider par exemple avec une bourse ou un « RSA jeune » (559€ par mois pour une personne seule).

Avec le salaire étudiant, les personnes en formation sont présentées comme des « travailleurs » et des « travailleuses » dont l’activité est tout aussi légitime que les autres. Associée au salaire étudiant, une telle idée pourrait permettre aux étudiants et aux étudiantes de se sentir légitimes pour se consacrer davantage à leur formation et pour proposer comme l’UNEF en 1945 des réformes de l’enseignement (supérieur).

De plus, étudiantes et étudiants seraient plus en confiance, fortes et forts de leur salaire et aussi de leur nouvelle légitimité économique de « travailleuse » et de « travailleur ». En s’appuyant sur les collectifs de travail qu’elles et ils côtoient sur les campus (associations, etc) et en dehors, elles et ils pourraient entreprendre, expérimenter et développer en plus de leurs études une autre économie, non lucrative, plus égalitaire, plus démocratique et plus respectueuse de l’environnement.


Aurélien Casta Chercheur associé au CLERSE (Université de Lille) et à l’IDHES (Université Paris Ouest Nanterre), auteur d’Un salaire étudiant. Financement et démocratisation des études, La Dispute, « Travail et salariat », Paris, 2017